LE SACERDOCE DES FEMMES DANS L’ANTIQUITE CHRETIENNE

Le sacerdoce des femmes dans l‘antiquité chrétienne
par Georgio Otranto, professeur d’histoire du christianisme ancien à la faculté de lettres de l’université de Bari

Texte publié dans Journal of feminist studies in Religion; français dans Golias Magazine no 56 (septembre/octobre 1997) pp. 66-69. Reproduit ici avec la permission de l‘auteur.

Après une analyse ponctuelle des sources littéraires et épigraphiques anciennes, Giorgio Otranto arrive à la conviction qu’au cours des premiers siècles certaines femmes avaient été ordonnées prêtres et avaient rempli tous les devoirs traditionnellement réservés aux hommes. Même s’il ne s’agissait que d’une minorité, le phénomène revêt de l‘importance et est digne d’être porté à la connaissance non seulement des chercheurs et des spécialistes mais aussi à celle d’un grand public, surtout d’un public qui suit avec un grand intérêt la question tant discutée de l‘admission des femmes dans l’Ordre sacré de l’Eglise catholique. Nous avons demandé au professeur Otranto de présenter le résultats de ses recherches aux lecteurs de Golias.

Le problème de l’admission des femmes dans l’Ordre sacré (que l’Église anglicane, soit église d’Angletere – a résolu positivement en 1992), est 1’une des questions ecclésiologiques les plus discutées de ces dernières années. Des mouvements d’opinion acharnés vent nés, des savants de diverges confessions et origines culturelles ont élevé la voix, les fauteurs et les détracteurs du sacerdoce de la femme ont entamé un débat houleux et au cours des dernières années, le Magistère ecclésiastique a officiellement renforcé la position de l’Eglise contre l’ordination de la femme par la Déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Inter insigniores, 1977) et par deux lettres apostoliques (Mulieris Dignitatem, 1988; Ordinatio sacerdotalis, 1994).

Parmi les nombreuses initiatives menées afin d’approfondir le problème femme et ministère sacerdotal, je me limiterai à n’en citer que deux de la fin des années 80: la consultation théologique inter-orthodoxe sur le rôle de la femme dans l’Eglise et la question de l‘ordination des femmes (Rodi 88) et le colloque “Femme et ministère: un problème œcuménique” (Palerme, 1988). Les conclusions de la consultation de Rodi ont confirmé la conviction que le sacerdoce a un « caractère masculin » alors que le colloque palermitain, lui, a soulevé des possibilités et des positions assez différentes.

Comme c‘est toujours le cas quand il s’agit d’apporter des solutions adéquates à des questions doctrinales et disciplinaires, ici aussi on a fait appel par des entendements différents et des résultats différents à l’ancien monde.

Ici, le Magistère est retombé sur les motivations sur lesquelles se base son opposition traditionnelle à l’octroi du sacrement de l’Ordre aux femmes: le Christ n’a appelé aucune femme à faire partie du collège des 12 apôtres et toute la tradition de l’Eglise est restée fidèle à ce fait et l’a interprété comme la volonté explicite du Sauveur de ne conférer rien qu’aux hommes le pouvoir sacerdotal de gouverner, enseigner et sanctifier et seul l’homme de par sa ressemblance naturelle au Christ peut exprimer sacramentalement le rôle du Christ même dans l’eucharistie.

NDLR : Toutefois les écrits cooptes de Nag Haamadi, indiquent que Marie Madeleine ou Marie de Magdala était l’élue du Christ, car apôtre préférée de celui-ci. Marie-Madeleine a subi les foudres des disciples de Jésus, jaloux de l’attention qu’il lui accordait, avant d’être délégitimée par les Pères de l’Eglise, inquiets de l’influence de cette femme scandaleusement libre. Ainsi, les témoignages des Evangiles apocryphes mis au jour au XIXe siècle attestent du rôle central de cette jeune Galiléenne dans l’édification de la religion chrétienne.

D’autre part, ceux qui ont des positions anti-éthiques même s’ils font appel à la chrétienté ancienne font remarquer dans leurs arguments que la position officielle de l’Eglise découle d’une anthropologie qui provient directement de l’ancien monde et est difficilement acceptable de nos jours. Une anthropologie qui dénote un état manifeste d’infériorité où la femme est considérée dans un contexte grec ou romain ou pire encore dans le contexte palestinien qui vit naître le christianisme.

Voilà en résumé, les positions même si peuvent apparaître des nuances et des articulations différentes que nous ne jugeons pas utile de signaler. Par contre, l’existence, à partir du IIIe siècle et surtout en Orient, d’un diaconat féminin pour soigner les femmes infirmes et pour assister aux baptêmes des femmes fait l’unanimité.

L’affirmation selon laquelle la femme n’a jamais exercé dans l’Eglise ancienne un sacerdoce ministériel n’est correcte que dans les grandes lignes. Elle ne rend cependant pas compte de certains épisodes, peu nombreux en vérité mais non moins significatifs, qui ont caractérisé la question du sacerdoce féminin dans l‘antiquité chrétienne: ce vent des bribes, des fragments d’histoire que la critique a systématiquement négligés ou a hâtivement jugés comme peu influents dans le cadre d’une considération globale du problème.

Un des épisodes traite d’une épître du pape Gélase Ier (492-496) envoyée en 494 à tous les évêques de certaines régions de l’Italie méridionale (Basilicata, Calabre, Sicile). II déclare avoir appris avec regret que le dédain envers la religion était arrivé à un tel point que des femmes avaient été admises à sacris altaribus ministrare et qu’elles remplissaient des fonctions réservées en général aux hommes et qui ne relevaient pas de la compétence du sexe féminin. La cuncta exprime la plénitude des attributions sacramentales et liturgiques: nous sommes en présence de véritables femmes prêtresses qui avaient été ordonnées et Gélase s’opposait à ce fait en faisant plusieurs fois appel à la tradition de l’Eglise et aux canons d’anciens conciles: le XIXe concile de Nicée (325), les Xle et XLIVe de Laodicée (seconde moitié du IVe siècle). celui de Nimes (394 ou 396), le XXVe d’Orange (441).

Dans mon essai de 1982, j’ai démontré qu’en Italie méridionale, les femmes avaient reçu le sacrement de l’Ordre des évêques dont l’œuvre fut condamnée par Gélase Ier. Ici, une considération très importante s’impose: l’épisode présenté par le pape et les nombreux canons conciliaires orientaux et occidentaux qui interdisent aux femmes d’accomplir le service liturgique et de faire partie du clergé démontrent implicitement que dans l‘ancien monde certaines femmes ont été ordonnées et que la question du sacerdoce des femmes avait déjà été soulevée tant en Orient qu’en Occident.

Même en dehors des contextes hérétiques, la chrétienté ancienne semble avoir parfois élevé des femmes au rang sacerdotal, en fonction de certaines prérogatives proprement et exclusivement de l’Ordre sacré. Dans le cas de De Verginitate, un ouvrage du IVe siècle attribué à Athanase, on affirme que « le règne des cieux n’est ni masculin ni féminin mais que toutes les femmes qui plurent au Seigneur proviennent de l’Ordre des hommes » et un peu plus loin les vierges sont appelées à bénir le pain de trois signes de la croix, à faire des actions de grâces et à prier. Ces sont des actes que l‘on peut apparemment considérer comme une célébration eucharistique même s‘il faut tenir compte qu‘au temps d’Athanase, en Alexandrie, la célébration de l’eucharistie se faisait selon un rituel bien plus complexe que celui qu’évoque De verginitate.

L’épigraphie témoigne aussi de cas de sacerdoce féminin.

A Tropes, un petit centre de la Calabre méridionale, a retrouvé une épigraphe chrétienne datée de la moitié du Ve siècle qui atteste une Leta presbytera. Quelques années après, Gélase, par son épitre aux évêques calabrais, aurait confirmé l‘existence du sacerdoce des femmes dans l’Italie méridionale. D’autres épigraphes des V-VIe siècles semblent attester la présence de femmes prêtresses à Salone, en Dalmatie (presbytera, sacerdota), à Hippone en Afrique (prebyterissa), dans les environs de Poitiers (presbyteria=prebytera) à Rome (2 fois presbytera), en Thrace (prebytera en grec).

Même si dans l‘ensemble, il ne s’agit que de quelques épigraphes (moins de 10) quand on les compare aux 50 000 de la chrétienté ancienne que l’on connait, elles auraient dû faire réfléchir sur les rôles liturgiques et sacramentaux de la femme dans le monde ancien. Par contre, I’historiographie catholique qui part du principe que le sacerdoce des femmes est inadmissible a soit intégré certaines de ces épigraphes et éliminés toute référence aux femmes prêtresses, soit compris le terme “presbytera” comme la femme du prêtre, acception certainement répandue dans l’Eglise ancienne.

C’est justement ce comportement préconçu qui caractérise le commentaire qu’un chercheur, même remarquable comme J. Galot, fait du canon XI du concile de Laodicée dont nous avons déjà parlé: « Il ne faut pas établir de femmes-prêtres dans l’Eglise. » il écrit: « Le canon XI du concile de Laodicée embarrasse les commentateurs. L’incertitude plane sur le sens des terme “presbytides” et “présidents” et du verbe “établir” ou “ordonner”. Si nous devions nous fier au titre du canon “Il ne faut pas établir de femmes-prêtres dans l’Eglise” il faudrait comprendre les ‘presbytides’ dans le sens de ‘prêtresses’. Mais un tel sens semble impensable pour l’Eglise catholique et on a essayé d’identifier ces “presbytides” soit à des diaconesses supérieures soit à de simples diaconesses soit à des vieilles dames chargées de surveiller les femmes dans l’Eglise.” À la lumière de tout ce qu on a observé jusqu’à présent, pourquoi ne pas donner au canon XI I’interprétation qui semble la plus évidente? Pourquoi ne pas reconnaitre qu’il interdit l‘ordination presbytérale des femmes? J. Galot, lui-même, admet qu‘il s’agit de l‘interdiction du sacerdoce des femmes, même s’il en circonscrit la portée et ne se rapporte qu’à la polémique montaniste.

Les renseignements sur le sacerdoce des femmes que nous tirons de l’épigraphie et de la canonicité conciliaire, devraient être approfondis ultérieurement dans un cadre plus ample qui inclurait aussi la documentation iconographique.

Je pense par exemple, aux fresques de ladite scène de la fractio pants dans la chapelle grecque du cimetière de Priscille à Rome (début du IIIe siècle; ou à l‘image d’une femme en habits sacerdotaux portant de la main gauche la croix et de la droite l‘encensoir représentée dans le code latin 12408 de la Bibliothèque nationale de Paris (fin du VIIIe siècle). L’analyse de pareils documents, reliés aux témoignages sur les diaconissae et sur les abbatissae de la fin du Moyen Age pourrait apporter de nouvelles connaissances sur le problème du rapport entre la femme et la liturgie. Ce rapport, dans l’antiquité, fut certainement plus riche et significatif qu’il ne l’est à l’époque actuelle.

MËme si les cas de femmes remplissant des fonctions de presbyterae sont rares, la fréquence avec laquelle des délibérations des conciles et des auteurs chrétiens usent un ton toujours polémique pour s’arrêter sur la question de l‘admission des femmes au sacrement de l’Ordre laisse à croire que les cas de femmes qui remplissent des fonctions de presbytera ou un autre type de service liturgique devraient être bien plus nombreux que ce qu’en atteste la documentation littéraire et épigraphique.

En dépit de l‘exiguïté regrettable de la documentation et contrairement à ce que soutiennent habituellement ceux qui s‘opposent au sacerdoce des femmes, tout ceci signifie que la position adoptée envers l’Eglise ancienne —par toute l’Eglise et non seulement par la hiérarchie—ne peut pas être comprise comme une tradition monolithique bien définie, c‘est-à-dire dans tous ses aspects et développements mais est plutôt acceptée par tous comme une réalité en cours, comme une question brûlante et prudente, discutée et parfois, même si c’est rare, résolue d’une autre façon. La tradition devient ou est devenue monolithique quand on condamne ou on a condamné toutes les solutions qui par le passé se sont éloignées de celles qui étaient acceptées officiellement et défendues par l’Eglise catholique. Ce comportement de l’Eglise peut avoir subi l‘influence de quelques groupes qui, condamnés comme hérétiques à partir du IIe siècle, acceptaient d’ordonner les femmes et de les élever au rang d’évêques. Mais la présence d’une presbytera ne comportait pas nécessairement son hétérodoxie ni celle de la communauté dans laquelle elle vivait et accomplissait son ministère.

Atton, évêque de Verceil qui a vécu entre le IXe et le Xe siècles, auteur de plusieurs ouvrages et grand connaisseur des anciennes dispositions conciliaires de l‘organisation ecclésiastique, de la vie sacramentale et de l‘expression liturgique en atteste de façon explicite.

Un prêtre qui s’appelait Ambroise lui demanda le sens qu‘il fallait donner aux termes presbytera et diacona des anciens canons. Sa réponse ne laissait planer aucun doute. II commença par déterminer que comme dans l’Eglise ancienne « la moisson était abondante mais il y avait peu d’ouvriers » (Mt. 9,37; Lc. 10,2), même les femmes recevaient des ministères ad adjumentum virorum comme le prouve l‘épitre aux Romains 16,1 (Je vous recommande Phèbes notre sœur diaconesse dans l’Eglise de Cendres ») .Selon Atton ce fut le canon 11 du concile de Laodicée (seconde moitié du IVe siècle) qui interdit l’ordination presbytériale des femmes.

L’évêque de Verceil écrit explicitement que dans les communautés chrétiennes anciennes non seulement les hommes mais les femmes aussi étaient ordonnées (ordinabantur) et qu’elles étaient à la tête des communautés (praeerant ecclesiis), on les appelait presbyterae et avaient le devoir de prêcher, commander, enseigner (Hae quae presbyterae dicebantur praecandi jubendi vel edocendi […] officium sumpserant). Ces trois termes prononcés lors de l’ordination reçue par les femmes résument le rôle du sacrement de l’Ordre.

Grand connaisseur de la canonicité et des institutions ecclésiastiques, Atton précise que le terme presbyterae pouvait aussi dans l’Eglise catholique désigner la femme du presbytère. Des deux acceptions, il déclare préférer la première.

Une démonstration ultérieure de l’utilisation fallacieuse de textes concernant le sacerdoce des femmes est donnée par le Lexicon imperfectum, un dictionnaire médiéval connu, attribué à Atton, l’évêque de Verceil, la deuxième acception donnée au mot presbytera.

Le témoignage d’Atton revêt une importance quant à la question du sacerdoce de la femme dans l’Antiquité. Or, il a toujours été volontairement ignoré ou mal interprété parce qu il n’allait évidemment pas dans le sens de la tradition unanime; cette acception aurait au moins dû semer le doute qui permet d’arriver à une certitude motivée quelle qu’elle soit. J’ai l‘impression, par contre, qu’au cours des siècles on a mis en œuvre, en partie accidentellement et en partie pour des raisons de prudence ou de conformisme, une sélection décidée ou une interprétation préconçue des renseignements déjà peu nombreux en ce qui concerne l’exercice du ministère sacerdotal des femmes. A la lumière de la position claire d’Atton, il faut essayer de récupérer même ces témoignages, qui à première vue nous apparaissent comme des bribes ou des fragments d’histoire, pour reconstruire le tableau le plus large possible. C’est ainsi qu’apparaîtra la tradition de l’Eglise, surtout dans les premiers siècles, qui n’a pas toujours condamné à l’unanimité le sacerdoce féminin, comme on le prétend habituellement. Il me semble donc pouvoir l’affirmer, en tant qu’historien du christianisme ancien sans parti pris, pour l‘admission des femmes au sacerdoce. Je pense même qu’en l’état actuel il est temps de discuter la question et de l’approfondir pour assurer aux femmes un rôle et une présence qui, au-delà de ce que pourront être les résultats et conclusions finaux, correspondront à la réelle volonté du Christ.

NDLR : Marie de Magdala ou Marie Madeleine, était le symbole d’une émancipation des femmes que le Christ aurait voulue et que les hommes ont refusée.

Même pour l’Eglise ancienne s’impose, à mon avis, ce que l‘exhortation apostolique Christifidelis laici définit comme « une considération plus pénétrante et vouée aux fondements anthropologiques de la condition de l’homme et de la femme ».

Sur la base de cette exhortation, il est nécessaire que les raisons de tous soient adéquatement entendues et évaluées, sûrement à la lumière de la doctrine de l’Eglise et peut-être dans un concile qui reconsidère dans un contexte unitaire les aspects bibliques, théologiques, sacramentaux, anthropologiques et historiques de toute la question. Ce n’est que comme cela qu’on pourra éviter que des revendications hâtives et intempérées finissent par gêner et retarder les changements qui sont pourtant nécessaires dans l’Eglise de Dieu.

Texte de John Wijngaards.
Traduction française par Jacques Dessaucy.
Publié également sur www.womenpriests.org

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